Tous les jours, on nous dit : "il faut faire confiance à la beauté intérieure d'une personne, ne pas se fier à son image", ou encore "l'habit de ne fait pas le moine !". Mais franchement, est-ce qu'on écoute vraiment ces bêtises ? On vous refile Maïté et Eva Mendes, vous choisissez qui ? Celle qui fera grimper le serpent, pardi (et qui au passage le rendra bien solide, le Snake) ! Oui mais voilà, dans le cas échéant, de la bonne bouffe fait parfois du bien. Mais on s'en fout, ce qu'il faut, c'est du physique, du physique et encore du physique.
Cette introduction a bel et bien un rapport avec le jeu dont il est question. Ce rapport, c'est qu'Alpha Protocol, délivré par nos amis de chez Obsidian (qui fut un temps à Bioware ce que Treyarch fut à feu Infinity Ward) est une victime directe de ce phénomène qui dure certainement depuis la nuit des temps dans tous les domaines.Oui, parce que Alpha Protocol est moche. Très moche. Sans entrer dans les détails techniques, il manque non seulement des efforts techniques supplémentaires (les modèles sont approximatifs, les animations parfois rigolotes d'improbabilité...), mais surtout de l'inventivité au niveau des décors. On frise parfois le Counter-Strike (de par le contexte militaire/espionnage contemporain choisi par Obsidian) pur et dur, c'est assez pénible de voir ça, il faut le reconnaître.
Malheureusement pour Obsidian, ça ne s'arrête pas là. Tu es non seulement très laid, cher Alphounet, mais tu est aussi difficilement jouable. Le manche à balais qui te sert de personnage principal m'a donné plusieurs fois envie de me foutre une balle mal modélisée et mal texturée dans le crâne. Entre les fois où il se colle au mauvais mur et où la vue se barre en cacahuète dans un mini chargement, on en voit des vertes et des pas mûres. Le principal défaut du gameplay vient de la difficulté de réussir plusieurs gameplay en un. Très laborieux quand on tente une approche bourrine (visée peu précise, réticule assez capricieux, gadgets incontrôlables...), frustrant quand on préfère l'aspect furtif (impossible de prévoir si un ennemi nous repèrera ou non, armes silencieuses pas faciles a manœuvrer...), le jeu tâtonne plusieurs genres dans les missions en elles-même sans arriver à les approfondir. Parce que c'est ça le problème (et la principale qualité) d'Alpha Protocol : c'est un jeu qui a une perfection plus profonde que les phases de jeux en elles mêmes.
Totalement insignifiants à l'égard de l'excellence des dialogues, ces phases de jeu se font complètement oublier une fois qu'on a assassiné le gros méchant terroriste local. Entre donc en jeu un scénario absolument grandiose : d'un simple histoire d'espionnage à la Splinter Cell (ou autre scénario de guerre totalement bidon), on entre dans LE véritable jeu de rôle de cette oeuvre : pas un jeu où on améliore notre personnage pour tabasser des méchants pas beaux (même si cela fait partie du jeu), mais une histoire où tout le monde peut vous tourner le dos à tout moment, et où vous pouvez faire de même. On est à ce moment plus spectateur d'un jeu où on nous dicte une histoire, mais nous sommes nous même le narrateur. Plus qu'un "jeu dont vous êtes le héros" (à la Heavy Rain), on devient totalement le personnage.
Tout cela se fait par le biais de simples dialogues où vous choisissez votre phrase suivante soit en fonction de la manière de répondre (suave, décontracté, professionnel...), soit en choisissant un sujet de conversation. Tout cela ne sert pas seulement à avoir des informations, mais surtout à créer son propre scénario. Presque tous les personnages peuvent mourir dans ce jeu, et c'est à vous de faire en sorte que ce soient ceux que vous voulez (qui a dit Fallout ?). Dès lors, une sensation incroyablement satisfaisante entre en compte : celui de sentir que le jeu vous appartient, qu'il n'a pas été crée par d'autres, mais que vous êtes en train de créer par vous même. Réussir un tel sentiment en ne faisant rien d'autre que cliquer sur des boutons ressort d'un exploit pur et simple, un exploit qu'il est rare de pouvoir admirer (même si ce n'est pas le bon terme, puisque rester admiratif revient à être passif), et qu'un certain David Cage serait bien jaloux de constater (mais encore faut-il qu'il joue à d'autre jeux que les siens).
Malgré son relatif inintérêt au niveau du jeu au sens pur du terme (les phases de mission, donc), ces passages ont pourtant un effet assez déroutant sur la "trame scénaristique" (y en a-t-il seulement une ? Ou la faisons-nous en direct ?). Il m'est arrivé assez fréquemment de tuer des personnages que j'aurais du épargner, et voir débarquer un inconnu pour me menacer de me tuer, et bouleverser complètement tout ce qui s'est passé au par avant. Serait-il là si j'avais agi délicatement ? Non, et c'est cette force incroyable que le jeu dégage du début (allez... à partir de la première heure de jeu, on va dire) à la fin : cette force de se dire "ce personnage, c'est moi".
Oui, parce que dans Alpha Protocol, on n'incarne pas Solid Snake, Master Chief ou Max Payne : on devient espion. Peu importe le nom du personnage, lui et le joueur de fait plus qu'un. C'est cette aura déroutante mais rafraîchissante qui fait d'Alpha Protocol une oeuvre totalement à part, non seulement dans le jeu vidéo, mais dans tous les arts. C'est la preuve qu'un art, peut être pas le jeu vidéo mais ce qu'on appelle "l'interactivité".
L'impression personnelle avec laquelle je ressors de cette expérience, c'est que le jeu réinvente certaines choses, et devrait rebaptiser des termes classiques. On ne peut plus parler de scénario : un scénario est quelque chose de linéaire ou, au mieux (comme dans Heavy Rain), une série de causalités. Action/réaction : je tue un personnage, un autre est pas content, mais à la fin il y aura toujours cette même scène de poursuite ce qui conclue à des incohérences de comportement des personnages (très récurrents dans Heavy Rain et Fahrenheit). L'alter-scénario de Alpha Protocol va plus loin que ça : ce ne sont pas plusieurs choix qui sont devant moi, mais tous les choix. Je suspecte un boulanger d'être un espion ? Très bien, il suffit de se demander ce qu'on ferait si on était un espion, et on a forcément notre choix qui nous est proposé. Envie de le tuer par surprise pour éviter de se faire démasquer ? Faites donc.
Certes, je m'emballe un peu. Et l'étoile en moins dans le score prouve bien qu'en tant que jeu vidéo, Alpha Protocol est imparfait. Mais il a dégagé en moi une énorme lueur d'espoir : celle qui me dit que le jeu vidéo a quelque chose d'unique, qu'on peut encore trouver de nouvelles sources de bonheur dans ce média et qui ne soit ni superficiel ni pompé d'autres arts. Mais ce qui est le plus triste, c'est que cet aspect du jeu soit enfoui derrière une laideur des yeux et des doigts qui passent bien avant l'émerveillement que j'ai pu avoir parmi les critiques du jeu aux quatre coins du monde.